Certains m'ont déjà dit que ça les énervait un peu que je me dénigre sans cesse. Mais je dois dire que cela m'énerve aussi, tout autant que ça me flatte, qu'on me dise que je suis une fille intelligente. Je crois aussi que je l'ai dis une fois de trop ces derniers temps, je me suis penchée un peu dessus. Pourquoi est-ce que je me dis ça au fond ? Pourquoi j'en ai la conviction ?
Bien que je sais que je suis pas plus bête qu'un autre, je sais aussi que je suis très feignante.
Quand j'étais plus petite, j'étais toujours en tête de classe jusqu'en 6ème inclu. Je me rappelle même d'un vieux souvenir, je devais être en CM1 ou CM2 ... je crois en CM1 ... je me rappelle aller vers mon père qui était rentré tard, et qui mangeait à la cuisine pour lui faire signer mon cahier. J'avais eu 16 il me semble. Je ne sais pas très bien si je l'ai vu du point de vue d'une petite fille bonne élève qui s'en voulait de ne pas avoir eu de meilleur résultat, ou d'une petite fille qui avait peur de la punition de son père. Tout ce que je me rappelle c'est que j'avais « intérêt à ramener un 20/20 la prochaine fois ». Je ne sais pas s'il l'a dit pour rigoler, ou s'il était vraiment en colère. Je sais en tout cas que je n'étais pas très fière de moi ce jour là.
Ma mère m'a appris beaucoup de choses avant même que j'intègre l'école maternelle. J'étais très en avance par rapport aux autres. Puis il y eut l'époque où l'on apprenait à lire. Là encore, avec l'aide de ma mère, j'ai eu des facilités. Ensuite vint le temps des premières notes, et jusqu'en 5ème je n'ai pas décroché de la première, deuxième ou plus rarement, troisième place en tête de classe. J'ai réouvert de mes cahiers d'école de cette époque. A part un ou deux 13 ou 14, mes notes ne passaient jamais en dessous de 17. Le plus grand de mes défauts était que j'étais beaucoup trop bavarde. Cette remarque me fait beaucoup rire car j'ai remarqué qu'elle était inscrite sur tous mes bulletins trimestriels, à part au collège où je suis devenue plus discrète et au lycée, où j'étais totalement inexistante.
Mais c'est une autre période ... tout ça pour dire que je crois que si je suis feignante aujourd'hui, que je n'apprends pas mes leçons, que je n'écoute pas en cours (sauf quand la matière me passionne réellement ... mais ça va souvent de paire avec le professeur qui l'enseigne), que je ne fais pas mes exercices ou que je m'y prends toujours à la dernière minute, c'est sans doute parce que j'ai eu l'habitude d'être dans les premiers, d'être l'une des meilleurs, d'avoir toujours eu des facilités pour apprendre quand j'étais petite. Ou du moins plus jeune qu'aujourd'hui. J'ai tout de même été bonne élève au collège, même si j'étais un peu plus dissipée. Et c'est aussi là que mes parents ont divorcés. J'ai eu d'autres problèmes à gérer. J'étais un peu plus seule qu'avant. Comme tout le monde j'ai eu mes premiers amours déçus, mes premiers moments de honte, la traitrise ... j'ai réellement commencé à expérimenter le monde, comme tous les autres à cette époque.
Et puis je suis arrivée au lycée ... même si je m'en sortais pas trop mal, j'avais confiance en moi. Je savais que j'étais capable. Je ne sais pas ... peut-être que le prof ne me donnait pas le goût de m'intéresser, ou que ce que l'on étudiait était pour moi sans réelle importance, ou que j'abordais quelque chose de totalement nouveau et difficile ... quelques aléas qui arrivent à tout le monde et qui ont eu de l'impact sur mes résultats. Il y a aussi regarder par la fenêtre en se demandant s'il pense à nous. Devenir rêveuse. Avoir envie de le revoir encore et encore ... et pour la première fois que les sentiments que l'on éprouve soient partagés.
Je ne sais pas vraiment si on peut dire que j'ai eu mon premier petit ami à ce moment là. Certains peuvent se moquer et dire « quoi seulement ? » ... disons que ma vie sentimentale ne ponctuait pas ma vie d'adolescente comme elle l'a fait pour d'autres. Disons que j'ai été réellement amoureuse pour la première fois et que je me suis épanouie même si j'avais reçu une certaine éducation qui faisait que pour moi, certaines choses m'étaient tabous, honteuses ...
Bref ... quand tout mon petit monde s'est écroulé dans l'anorexie, que j'ai appris à tout perdre, à être seule comme jamais et à vivre une véritable guerre contre moi-même ... je ne sais pas ... je ne comprends pas ... à force de ne pas manger, peut-être ai-je déréglé quelque chose.
Je sais que je pensais à un milliard de choses en même temps, le jour, la nuit, en mangeant, en rêvant ... à chaque instant, j'étais sans cesse en train de gémir, de m'inquiéter, de m'auto-réprimander ... c'est vrai que j'ai eu l'impression de devenir folle. Peut-être l'ai-je réellement été.
Depuis que je ne suis plus anorexique ... du moins j'espère ne pas vivre une sorte de pause et qu'en fait ça ne soit pour mieux retomber dedans ... depuis ça, j'ai l'impression que mon cerveau s'est mis en pause. D'avoir eu un choc quelque part et que la machine fonctionne au ralentit. J'ai l'impression de ne plus réfléchir. De ne plus avoir d'esprit.
Je sais que toutes pensées à l'époque de mon anorexie me rendaient dingue et m'embourbait dans une sorte de tourbillon de mensonges à moitié vrais et de vérités à moitié dévoilées ou fausses ... l'acte de penser et réfléchir, on pourrait dire que cela m'était douloureux. Tant qu'aujourd'hui je ne sais pas si mon esprit est toujours vivant ou non. Ce qu'il y a de rassurant dans la douleur, c'est de savoir que l'on est toujours vivante. Or là ... J'ai dû perdre la tête.
J'oublie beaucoup de choses. J'ai un gros problème de mémoire totalement exhaustif avec les informations qu'elle garde ou rejete.
En vérité ... j'ai l'impression d'être totalement et pronfondément stupide, bête depuis que je ne suis plus anorexique.
C'est vrai ... avant je contrôlais mon corps tout entier. Je contrôlais tous mes désirs et mes besoins. J'avais la totale maîtrise et ce uniquement par la volonté de mon esprit, qui travaillait uniquement pour me convaincre de tout et toutes choses par le biais de milliers d'arguments ... pour me convaincre de stupidités sans doute. Je ne sais pas ...
Aujourd'hui je sais que je peux avoir une conduite très correcte et des réflexions assez pertinentes. Mais il y a une différence entre la maturité et l'intelligence. Je n'ai aucune culture. Ce que je sais tout ceux qui me cotoie le savent déjà. Et ce que mon esprit n'a pas mis en quarantaine ou définitivement supprimé de mon intellect, ne me donne que le sentiment que les autres savent toujours des milliards de choses qui me seront impossibles à retenir. Jamais. Pour eux ça semble tellement banal ... pour moi c'est devenu tellement difficile.
Quand j'ai un examen, je peux tout apprendre par coeur la veille. Parcontre deux jours après ... c'est même pas la peine de me demander quoi que ce soit. C'est comme si je me battais avec le néant pour en sortir quelque chose et si je ne le réactive pas tous les jours, il retourne au néant d'où je l'ai extrait. Et ça devient à nouveau pour moi quelque chose qu'il m'est impossible de toucher. Je sais que je l'ai su. Ou des fois même je ne me rappelle même plus si je l'ai su ou pas. Mais pour moi il est impossible de savoir « ce » que j'ai su.
C'est un peu difficile à expliquer. Pour certain ça peut parraître exagéré, pour d'autres pas exeptionnel parce que ça leur arrive aussi. Mais même s'il arrive aux gens d'oublier de cette manière là, je ne sais pas si ça leur arrive autant qu'à moi. Je ne peux demander à personne « rentre dans ma tête et dis moi si c'est pareil ou si quelque chose est cassé ». J'arrive pas à me rassurer. J'arrive pas à trouver une personne qui me dise qu'il vit exactement et intimement la même chose.
Est-ce que je me suis détraqué l'esprit en ne mangeant pas ? Pas la peine de me conseiller un psy ... j'en ai déjà consulté un, et à dire vrai, ça ne m'a servit à rien du tout. J'ai plutôt l'impression qu'elle me prenait vraiment pour une imbécile de première catégorie. Mais passons ...
Si la greffe de cerveau était possible ... si la réparation du cerveau était possible ... s'il existait une sorte de questionnaire qui passe en revue toutes les connaissances que nous sommes sencés avoir et au delà ... si on pouvait faire une radio de nos connaissances et vérifier qu'elles n'ont pas disparu ou qu'elles n'ont pas bougé de place ... j'aurais tout fait. Pourvu que tout me dise : rassures-toi, tout est encore là, tu es juste un peu fatigué ...
Au pire des cas ... je me serais dit que c'est moi qui ne sait pas comment m'y prendre avec ma tête. Et que ce que j'ai réellement oublié c'est comment on s'en sert.